II-A- Fugue
L’improvisation de la fugue remonte, comme celle d’accompagnement du plain-chant aux débuts de la classe d’orgue, puisque l’on trouve un thème de fugue sur la feuille d’épreuves du premier concours (1825) conservée aux Archives Nationales. Ces deux épreuves d’ailleurs correspondaient à l’époque au savoir-faire qui était exigé de tout organiste liturgique (2). La forme de la fugue improvisée pratiquée à la classe d’orgue depuis François Benoist s’est progressivement organisée de façon de plus en plus précise. A partir de la fin des années 1850, tous les sujets de fugue conservés, qu’ils aient été destinés aux concours ou à la classe, sont toujours construits de manière à produire une strette véritable. Vierne donne quelques indications sur l’enseignement de la fugue par Franck, Widor et Guilmant dans ses Mémoires et ses Souvenirs. Lors du professorat de Guilmant, la forme est celle de la "fugue d’école", avec une exposition - suivie éventuellement d’une contre-exposition -, trois divertissements alternés avec des passages thématiques aux tons voisins, puis un stretto où figure la strette véritable. Vierne signale que Guilmant "n’osa pas imposer le contre-sujet conservé, mais (qu’)il tint à ce que les entrées, soit aux premiers relatifs, soit aux derniers, fussent faites dans les voix intermédiaires" (3). Guilmant renforce donc quelque peu les exigences contrapuntiques demandées par Widor (4), mais aucun étudiant n’est alors en mesure de mémoriser et conserver un contre-sujet (5).
D’après les notes prises par Marcel Dupré lors des concours de 1921 à 1925, à la fin du professorat de Gigout, les contraintes techniques semblaient inférieures à celles demandées par Guilmant. Voici les commentaires de Dupré pour le concours de 1921 :
"(...) 3) Personne n’a fait une entrée de fugue dans une voix intermédiaire, sauf Duruflé au
ténor sans basse
4) Personne n’a vu la strette à 1 temps
5) Personne n’a fait plus d’une strette en dehors de la véritable
(...)
7) 2 jeunes filles ont fait le même divertissement sur un fragment étranger au sujet."
Pour les concours suivants, plusieurs remarques concernent l’absence ou la pauvreté des strettes, l’usage de marches harmoniques et d’accords non autorisés, beaucoup d’hésitations dans le déroulement agogique. Si certains candidats se lancent dans des strettes en mouvement contraire ou en augmentation, si l’un d’entre eux, par exemple Maurice Béché en 1925, parvient à conserver le contre-sujet, le niveau global de la classe paraît assez médiocre, selon le point de vue du futur professeur. Même les registrations font l’objet de critiques (déséquilibres pédale/mains pour plusieurs candidats en 1924). Constatons cependant que chaque étudiant disposait d’une marge de manoeuvre suffisante pour présenter une version personnelle différenciée de celle de ses camarades (dispositions, registration, nombre de strettes...), ce qui témoigne d’une conception pédagogique très ouverte.
... etc.
Odile Jutten, janvier 2001.
(1) La première partie de cet article est parue dans le numéro 18, pp.
9-14.
(2) Encore en 1860, Joseph d’Ortigue, dans son Dictionnaire,
mentionne ces deux épreuves comme les seules incontournables lors d’un concours d’organiste
liturgique.
(3) Louis VIERNE, "Mes Souvenirs", Cahiers et Mémoires de l’Orgue,
n° 134 bis, III-1970, pp. 52-53.
(4) Ce dernier, d’après Vierne, Ibid., p. 30, avait une certaine
aversion pour ce genre scolaire, qu’il trouvait très arbitraire.
(5) Seuls y parvinrent Vierne, lors de son dernier concours, en 1894, puis
Dupré, en 1907 et de tels exploits restèrent légendaires, avant de devenir "obligés" à partir de
1926.