MARCEL DUPRE ET BERNARD GAVOTY
Après avoir été élève de Louis Vierne, Bernard Gavoty entra au
Conservatoire et eut comme condisciples à la classe d’orgue Denise Launay, Michel Boulnois, Antoine Reboulot, Félicien Wolff
et Jean-Jacques Grunenwald, entre autres (1).
Il tînt une place tout à fait particulière parmi les élèves de Marcel Dupré au Conservatoire. En effet, brillant orateur, doué d’une parfaite élocution, sachant manier la plume, il fit de très nombreuses conférences, en particulier pour les Jeunesses Musicales de France et fut critique musical au journal Le Figaro sous le pseudonyme de Clarendon. L’improvisation musicale est quelque chose qui l’a sans doute toujours impressionné et il fut ébloui par les dons de Marcel Dupré en la matière. C’est probablement cette raison qui l’a aidé à saisir maintes occasions pour faire connaître Marcel Dupré en tant qu’improvisateur. Mais sachant que, par essence, l’improvisation est quelque chose d’instantané et qui ne dure pas, il a utilisé les moyens de son époque pour que les chefs d’œuvre dont il était témoin puissent être écoutés ou vus par les générations futures. C’est ainsi que, par exemple, dès 1949, il a organisé à Meudon chez Marcel Dupré une série d’émissions radiophoniques dans lesquelles Marcel Dupré improvisa dans toutes les formes musicales instrumentales. Ces émissions ont fait l’objet d’une édition de 4 disques vinyles par notre association. Il a également organisé des émissions télévisées à Saint-Sulpice où l’on peut voir Marcel Dupré improviser sur un Noël breton, ou bien une double fugue par exemple. Profitant de sa situation en tant que critique musical, il a écrit de très nombreux articles sur l’art d’improviser de Marcel Dupré. Il est certainement un de ses élèves qui a entretenu avec lui la correspondance la plus suivie. Nous n’avons pas encore retrouvé toutes les lettres que Marcel Dupré lui a adressées, mais certaines d’entre elles sont particulièrement intéressantes d’un point de vue musical, même si d’autres paraissent obscures. C’est la raison qui nous a conduit à publier cette correspondance avec les autorisations de madame Gavoty, aujourd’hui décédée, et monsieur Raymond Sultra. Bruno Chaumet CORRESPONDANCE DUPRE - GAVOTY 12 Février Mon cher Bernard, J’ai tenté de vous avoir au téléphone. __________________ 1 Nous avons publié, dans un précédent bulletin, une photographie de la classe d’orgue de Marcel Dupré où l’on peut voir Bernard Gavoty parmi ses camarades. __________________ Il faut que je vous gronde un peu, et vous devinez bien pourquoi : il s’agit de l’emploi d’un certain mot que je vous avais fait promettre de réserver pour les grands morts que nous vénérons. Et c’est, si je ne m’abuse, la 2e fois que …, Monsieur le Récidiviste ! Il n’empêche que je vous serre affectueusement dans mes vieux bras. Votre ami. Marcel Dupré _____________________________________________________________________ La Roche-Hüe
Cheviré-le-Rouge (M. & L.) 27 Décembre Mon cher Bernard J’ai bien reçu votre mot du 22. Je pense que, le matin de Noël, vous avez été empêché de venir, comme vous en aviez l’intention. Je crois que ce programme est sensiblement trop long, et qu’il y a trop de personnalités et de thèmes. Nous aurons le temps d’en conférer au retour. Je serai à Paris le 3 au soir. Pourquoi ne passeriez-vous pas à la classe un de ces jours ? Pour vous, Victoire(2), et les amours(3), mille bons vœux de nous tous Votre vieil ami. Marcel Dupré […] _____________________________________________________________________ Mon cher Bernard, Vous savez que j’ai l’habitude de dire les choses telles qu’elles sont. Voici : on m’a volé votre livre(4), mon livre, à St Sulpice dimanche. Jouant les vêpres l’après-midi et n’étant pas rentré à déjeuner à Meudon, j’ai ramené le livre à St Sulpice, l’ai déposé sur la cheminée, sous mon chapeau, et ne l’ai plus retrouvé en partant. J’étais furieux. Ne m’a-t-on pas, l’an dernier, subtilisé ma montre en or que j’avais oubliée sur mes claviers ? Un collectionneur de souvenirs doit fréquenter les lieux !! J’ai donc racheté le volume chez Senart. Mais je voudrais bien que vous ayez la gentillesse d’y réinscrire la dédicace dont j’ai été touché. Ceci, à la première occasion. __________________ 2 Il s’agit de madame Gavoty, (N.D.L.R.). 3 Il s’agit des deux filles de Bernard Gavoty, (N.D.L.R.). 4 Nous ne savons pas de quel livre il s’agit, mais il est intéressant de constater qu’en 1943, année de cette lettre, Bernard Gavoty a publié un livre chez Albin Michel Louis Vierne, le musicien de Notre-Dame, (N.D.L.R.). __________________ Merci d’avance, et pardon. Très affectueusement à vous. Marcel Dupré _____________________________________________________________________ Meudon 6 Janvier 1946 Mon cher Bernard Le trio de banlieue, touché des vœux du Trio Précoce, (si l’on considère Marie-Ange(5)) lui envoie tous ses vœux de bonheur. Mais ne l’avez-vous pas, le bonheur mon cher Bernard ? Une femme qu’on aime, et une fille qui vous fait perdre un peu la boule, moi, je connais ça aussi. Et je vous serre dans mes vieux bras. Marcel Dupré _____________________________________________________________________ Montréal 24 Septembre 1948 Mon cher Bernard Merci de votre mot si gentil, qui m’a fait tant de plaisir. Oui, je sens, à travers vos lignes, que vous êtes content de ma 3e ficelle. Comme je comprends vos hésitations pour notre cher grand Fleury(6) ! Etes-vous donc si désespéré encore, pour les Invalides(7). C’est incroyable, tout de même. (Si une pareille chose était soupçonnée ici …) Heureux de ce que vous me dites du très grand Alfred(8). Moi, je garde toujours une petite nostalgie au fond du cœur … A vous, à votre chère Victoire, à la belle Marie-Ange, nos deux cœurs lointains, mais bien fidèles. Votre ami. Marcel Dupré _____________________________________________________________________ La Roche-Hüe
__________________Cheviré-le-rouge 5 Il s’agit de la fille aînée de Bernard Gavoty, (N.D.L.R.). 6 Il s’agit certainement d’André Fleury, ancien élève de Marcel Dupré, (N.D.L.R.). 7 Finalement, Bernard Gavoty est devenu titulaire de l’orgue de Saint-Louis–des–Invalides à Paris, (N.D.L.R.). 8 Il s’agit certainement d’Alfred Cortot, (N.D.L.R.). __________________ Voici de tristes étrennes, mon cher Bernard. Vont-elles tomber aussi mal, dans le nid de deux belles petites princesses que, certain Dimanche, un pauvre homme aux reins tordus, et néanmoins, délicieusement hospitalisé ? Mais je veux tenir ma promesse. Vous savez que je crois à l’utilité d’une forme, et qu’il n’est pas si difficile, après tout, d’en combiner. Je n’ose appeler Création cette opération de l’esprit à moins qu’elle n’aboutisse, comme j’ai dit dans mon Traité, au Scherzo de la 9e Symphonie, au 2e mouvement de la Symphonie de Franck, à la Sonate en si mineur de Liszt. Ce sont des « greffes » qui ont donné des résultats de miracle. Vous savez également pourquoi je crois encore plus à l’utilité de la forme en improvisation : elle rassure l’auditeur, qui se prend parfois à redouter l’éternité ! L’improvisateur a donc un peu plus de droits à couler sa pensée dans un moule préparé. Mais il peut lui arriver de voir surgir à ses claviers une forme nouvelle, le plus souvent issue de 2 formes existantes, conjuguées. Si une telle forme supporte mon examen, ultérieurement, je crois avoir parfaitement le droit de l’utiliser, de temps en temps. Cette aventure m’est arrivée 3(10) fois, toujours à St-Sulpice. Je ne peux pas préciser quand : j’ai oublié. Mais je sais dans quel ordre elles me sont apparues, et si vous voulez bien, nous suivrons cet ordre. […] __________________ 9 Il est curieux de constater que cette lettre dans laquelle Marcel Dupré indique comment il est arrivé à improviser une nouvelle forme musicale ait été écrite peu de temps avant la conférence de la salle Gaveau dont le thème est justement l’improvisation, (N.D.L.R.). 10 Le chiffre 3 a été remplacé par le chiffre 4 sur l’original très probablement par Bernard Gavoty, (N.D.L.R.). |