CONSERVATOIRE NATIONAL DE MUSIQUE
14, Rue de Madrid
Paris (8ème)


Paris, le 6 Janvier 1955




Allocution de Monsieur le Directeur(1) prononcée à l’occasion
de la réunion des élèves du Conservatoire, le vendredi
17 Décembre 1954
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       Le désir de tout élève est de savoir aussi exactement que possible ce que ses examinateurs attendent de lui. Voici quelques données essentielles qu’il fera bien de ne pas oublier, au moment des épreuves :

ECRITURE

       Composition

Les formes : vous pouvez aussi bien vous exprimer dans une forme déjà employée par d’autres que dans une forme composée par vous-même. Aucune combinaison formelle nouvelle ne sera repoussée, mais elle n’est nullement exigée.

La langue : aucune tendance n’est, ni interdite, ni favorisée. Mais évitez aussi bien la platitude, la banalité que l’incohérence et la laideur volontaire. Souvenez-vous que l’originalité véritable est toujours inconsciente, que le caractère (qualité essentielle d’un morceau) est toujours déterminé par le thème, ou les thèmes, et que vos intentions doivent être compréhensibles. Respectez les limites des voix et des instruments. Ne confondez pas leurs registres. Pensez à la respiration de vos interprètes (voix et vents). Ne maltraitez pas la langue française dans vos œuvres vocales. Donnez l’impression, enfin, que chaque pièce avance vers une conclusion.

Instrumentation : soyez sobres sous la voix. Ne noyez pas l’instrument qui, temporairement, est soliste. Sachez que le chef d’orchestre cherchera toujours à découvrir les plans que vous avez voulus dans toute disposition orchestrale. N’abusez pas des grands « forte » qui sont seulement des sommets.

Et ne méprisez pas la sensibilité : ne rougissez pas que votre musique soit humaine.


       Fugue

La langue de la Fugue n’est pas celle du contrepoint fleuri. Ne confondez pas l’esthétique de la Renaissance avec celle du 17ème siècle. Vos modèles sont Bach et Mozart. Ils ne s’interdisent point l’appogiature.

Bach, dans la Toccata en FA pour orgue, fait du renversable à 3 voix dans lequel il emploie la quarte et sixte, ce qui lui donne une singulière liberté. Ayez toujours présentes les 3 lois esthétiques de la fugue, qui s’apparentent aux 3 unités du théâtre classique : l’unité de temps est pour nous le mouvement continu dans les voix de l’unité de valeur ; l’unité de lieu est l’unité tonale : le ton principal et ses relatifs ; l’unité d’action est l’unité thématique : tout se déduisant du sujet et du contre-sujet.

       Ne méprisez pas la recherche des strettes. Il ne vous est pas défendu d’employer dans leur réalisation les petits subterfuges qui vous éviteront des maladresses d’écriture. Enfin, respectez les limites des voix, quoiqu’elles soient théoriques.

       Contrepoint

       L’étude du contrepoint n’existe qu’autant qu’elle est absolument stricte. Il n’est point question d’abolir aucune des règles, ou coutumes, respectées au XVIème siècle. La plus importante de toutes, et la plus souvent violée est la règle d’une harmonie unique par mesure. C’est ici qu’une analyse serrée de ce que vous écrivez intervient. Et soyez convaincus qu’il vous est plus utile de transpirer 10 heures sur un seul contrepoint que d’en faire dix approximatifs dans le même temps.

J’attache de l’importance au contrepoint modal. Vous pourrez en avoir aux épreuves, dans les 4 modes authentiques : RE-MI-FA-SOL. L’expérience vous montrera que le modal est plus facile que le mineur.

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