N'oublions pas le délicieux petit livre Marcel Dupré
raconte ... , éditions Bornemann, d'où j'extrais ces quelques
lignes :
Enfin en 1948, après avoir couru de ville en ville avec de nombreux
voyages de nuit, afin de pouvoir donner un concert le lendemain, nous
décidâmes que cette tournée, la dixième, serait la dernière. Et je tins bon,
résistant par la suite à toutes les sollicitations.
Il semble que Marcel Dupré n'ait guère de loisir de composer de grandes
oeuvres en cette année 1948 ! Seules, quelques circonstances, et non des
moindres, lui permettent de laisser quelques manuscrits dont le Noël
Il est né le divin enfant et
Epithalame, pour le mariage de sa chère fille Marguerite. Elle
fut, rappelons-le, une éminente pianiste, élève de Lazare Lévy, et de
Nicolas Medtner à qui Marcel Dupré dédia Le Chemin de la Croix.
Une pièce pour orgue est citée dans l'ouvrage traduit en anglais de
Marcel Dupré raconte ..., intitulé Recollections
par Ralph Kneeream, éditions Belwin Mills. Dans la partie Catalogue of
Dupré's works (works without opus numbers), il est noté
Epithalame, organ for Marguerite.
La présence de ce mot mystérieux, dans les catalogues musicaux, est très rare. Quelle est donc l'étymologie d'Epithalame ? Cela vient du grec epi = sur, et thalamus = lit nuptial. Dès la plus haute antiquité, les cortèges nuptiaux étaient accompagnés d'Epithalamus, tels ceux de Catulle (vers 84 avant J.C.), poèmes chantés ou déclamés. Peu de compositeurs, à travers les siècles, ont conservé cette expression. On peut citer une page de la partition Gwendoline de Chabrier et, parmi les 24 Pièces en style libre pour orgue ou harmonium de Louis Vierne, l'avant dernière. En revanche, la littérature nous offre un plus large éventail. Alors que ce terme littéraire ne paraît pas dans la Bible, le Cantique des Cantiques et le Psaume 44 peuvent être considérés comme de véritables épithalames. Plus près de nous, un roman d'analyse, au début du XXème siècle, a pour titre Epithalame, de Jacques Chardonne, né en 1885, un an avant Marcel Dupré. Ce roman, écrit en 1921, se penche sur les destinées sentimentales dans les milieux protestants de la Charente et du Limousin, ce qui peut intéresser quelques lecteurs. Dois-je ajouter qu'un ballet créé à Paris en 1955 porte ce même titre ? Curieusement, c'est un ballet sans musique ! (cf. Quid, éditions 1998).
La première page du manuscrit de Marcel Dupré apporte de précieux
renseignements sur cette partition. La belle écriture du compositeur
spécifie : Paraphrase de l'air de Giovannini, de J.S. Bach,
aria du cahier d'Anna-Magdalena Bach : Willst du dein Herz mir
schenken ... : Si tu veux me donner ton coeur, que ce soit
d'abord en secret, et notre pensée commune, que nul ne puisse la
deviner.
Marcel Dupré ajoute : Beethoven fit une improvisation sur ce thème, un
dimanche soir de mai 1806, à l'occasion de ses fiançailles avec Thérèse de
Brunswick au château de Martonvásár, en Hongrie ...
Giovannini est cité dans le sommaire du petit livre d'Anna-Magdalena Bach, éditions Lemoine, en Urtext. Il fut compositeur et violoniste. Entre 1740 et 1782, il vivait à Berlin. En 1745, il fit un séjour à Londres, en prenant comme pseudonyme : Comte de Saint-Germain. Actuellement, si l'on se réfère à la bibliographie de Beethoven écrite par Jean et Brigitte Massin, éditions Fayard, 1967, page 149, on suppose qu'il y eut de faux documents ! Ces auteurs affirment qu'en fait, il n'y eut pas de fiançailles à Martonvásár en mai 1806 puisque Beethoven était à Vienne, et Thérèse en Hongrie.
Marcel Dupré continue de noter : C'est le 29 janvier 1948 que, sur la
demande de ma fille adorée, j'ai, sur le petit orgue de Meudon, improvisé
sur un thème, plaçant ainsi le bonheur de nos enfants bien-aimés sous la
protection des deux grands génies vénérés. Achevé de composer à Meudon, le
16 mars 1948. Cette oeuvre que nous savons d'abord improvisée,
comporte 78 mesures pleines de combinaisons contrapuntiques. Musique dense
écrite à 4 voix, qui pourrait s'exprimer aussi par le quatuor à cordes ; les
divertissements sont à 3 voix, et 4 voix jouant sur le thème initial :
Le deuxième divertissement, au départ de l'anacrouse de la mesure 41,
rappelle un peu la forme variation avec une entrée un peu agitée à la
pédale, au 2ème temps de la mesure 44, avec quelques tonalités éloignées,
comme ré bémol majeur, puis retour rapide en mi bémol majeur dans l'esprit
du stretto, dès la mesure 51. Une pédale de tonique se joue, elle
aussi, d'une enharmonie tout d'abord bémolisée (mesure 67), ensuite diésée
(mesure 68). enfin la coda utilise un procédé debussyste,
c'est-à-dire, marche de quelques accords se transportant parallèlement,
mesure après mesure :
Un petit orgue de salon peut suffire quant à la registration : gambe et voix céleste au récit, flûte 8 au G.O. avec accouplement Récit/G.O., Soubasse 16 à la pédale, avec Tirasse Récit. Après l'improvisation de cet Epithalame aux fiançailles de Marguerite avec Emmanuel Tollet sur le petit orgue de Meudon, près de l'entrée de cette accueillante maison, l'instrument rejoindra un peu plus tard la famille Tollet dans leur domaine de Cheviré-le-Rouge, dans le Maine-et-Loire.